Le même et l'autre

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Chuchotements, voix qui baissent d’un ton, conversations qui s’arrêtent, regards en coulisse, demi-sourires, corps qui s’écartent quand il prend place à une table de cantine ou dans une salle de cours, comme s’il était contagieux, toute une rumeur qui rampe mezza voce, gagne des adeptes, le cerne, l’épie, commente ses comportements et, dès qu’il s’approche de quelqu’un, bruisse. Une moue dégoûtée, et il se sent sale. Le même couche avec le même. Seins contre seins – répugnante mollesse des seins –, pubis contre pubis, mains qui fourragent, et cunnilingus, frottements – sous peu, on verra cela dans des films, en gros plan et avec bruitages. Mots bulles qui crèvent, avec ce b de babines, de bave, ce bruit de baiser, de succion, lèvres contre lèvres, petites lèvres, grandes lèvres, Lesbos, lesbienne, gouine, g pas comme garçon, pas queue, pas couilles, g avec ouine qui suit, comme une limace. 

Et peur, qui s’installe, qui ronge, qui envahit. Incessante, lancinante. La question qui se pose – qui se posait déjà, mais jamais avec cette âpreté, cette urgence : mourir ou ne pas mourir ? Aujourd’hui, ou seulement demain ? Une journée encore ? Mourir est une solution, un recours ultime, qui permet de vivre encore, sachant que d’une seconde à l’autre on peut se soustraire à ce qui ne peut plus se supporter. Il faut tenir, durer. (…) S’enfouir dans le travail,doulos, comme douleur, esclave qui porte, qui supporte. Apprendre la ténacité, et soudain, d’un bond, franchir la crête. S’en sortir par le haut, les laisser sur place. Ce sont des leçons qu’on n’oublie pas.

Danielle Bassez naît en 1946, à Châteauroux. Elle poursuit des études de philosophie à l’École Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses et à la Sorbonne. Agrégée de philosophie, Danielle Bassez enseigne de longues années à Vizille, près de Grenoble, partageant son temps entre son métier, la littérature et un intérêt croissant pour l’hellénisme. Elle a publié la plupart de son œuvre à Cheyne éditeur.