Clara Breteau, autrice associée aux Archives départementales du Cher (18)

"A Vava Inouva", berceuse du chanteur Idir et de Ben Mohammed, qui donne son titre au prochain ouvrage de Clara Breteau, se fait l’écho d’un rapport au territoire et à l’histoire hanté par une quête et un effacement : un ogre rôde dans la forêt, il représente une menace pour les Algériens qui ont été jetés au-dehors de leurs maisons où sont rassemblés chansons, nourritures et foyers protecteurs. La porte leur est fermée, leurs ancêtres sont à l’intérieur et c’est en vain que l’on agite les bracelets.

« A Vava Inouva » est la chanson de celles et ceux qui, jetés dans la forêt coloniale, errent devant la cabane ancestrale devenue tombeau, à la recherche des sésames aptes à redonner vie à leurs forêts et à leurs maisons. 

S'appuyant sur différents récits autobiographiques d'enfants d'immigrés maghrébins et sur sa propre histoire familiale, Clara Breteau tente de mesurer le trauma colonial à l’aune d’une vie revisitée sous l’angle des lapsus, ritournelles et cryptages venus l’habiter, sous le double effet de la perte et d’une guérison qui cherche à s’accomplir. 

Métisse franco-algérienne ayant grandi en France, l'autrice ne fait partie ni des « décolonisateurs », comme l’étaient celles et ceux qui ont vécu la guerre, ni des « décolonisés », comme l’ont été celles et ceux qui ont vécu en Algérie, après l’indépendance, dans l’ombre des fondateurs. Une prise de conscience à la mort de son père et à la naissance de son enfant la pousse à se questionner : comment le mal continue-t-il de voyager encore aujourd’hui chez les enfants de la diaspora, nés et élevés comme elle en France, bien après l’indépendance ? Comment l’affronter, quand les matrices, les écosystèmes, les familles qui tentaient de le digérer ont disparu et qu’il poursuit seul, nu et tranchant, sa course dans les corps ? Comment, dans le grand silence blanc qui s’installe, refaire de notre relation au corps et au monde vivant les lieux de reconstitution d’une histoire, et les tissus d’une guérison ?

Nourrie d’observations, de déambulations, de recherches documentaires et d’entretiens, Clara Breteau souhaite mener l’enquête. S’alimenter des bouts d’autres histoires, s’érigeant au fur et à mesure aux points de suture de l’histoire individuelle et de l’histoire collective. 

Cependant, les trous et les blancs de cette « non-histoire » algérienne ne se comblent pas facilement. Loin d’avancer, l’enquête s’enlise, tourne, fait des boucles, semblant être perpétuellement sabotée de l’intérieur. Face à ces résistances, elle emprunte alors des voies de traverse, se faisant enquête sensible, à la poursuite de ces micro-perturbations qui, dans le silence de la mémoire, affleurent à la surface du monde vivant, des corps, des environnements, semblant les doter soudain d’un langage capable de parler « pour tout ce qui ne parle pas ». C’est un oeil qui se ferme, piégé par une poussière - et pleure, quarante-huit heures durant, lors de son premier voyage en Algérie. 

Depuis 2021, Clara Breteau collecte de nombreux témoignages, textes, récits, lectures et recherches documentaires. La prochaine étape de la construction de son texte consistera en la consolidation des principaux partis pris en matière de style littéraire et de structure narrative. Sa résidence lui permettra de bénéficier d'un temps propice à l'écriture d'un premier jet structuré, tout en profitant des ressources des Archives du Cher et du Loir-et-Cher et des rencontres. 

Les 60 ans de la fin de la guerre d'Algérie commémorés en 2022 ont montré la trace laissée par ce conflit de part et d'autre de la Méditerranée. Alors que les témoins directs de ces événements disparaissent, que l'urgence  de sauvegarder leur parole devient évidente, que les travaux de historiens permettent un nouvel examen de la période, les Archives du Cher (18) et du Loir-et-Cher (41) ont souhaité accompagner leur démarche d'enrichissement et de valorisation des sources de cette histoire complexe par une approche littéraire et sensible.