Lumière sur... trois nouveaux libraires en Centre Val-de-Loire

Depuis presque deux ans, comme partout ailleurs en France, le Centre-Val de Loire voit les projets de librairies se multiplier. En 2021, cinq nouvelles structures ont levé le rideau et trois librairies ont été reprises, soit deux fois plus qu’en 2020. Rarement enregistrés dans la région, ces chiffres témoignent de l’attrait et de la dynamique de la librairie.

Issus de reconversions ou professionnels aguerris, exprimant tous une quête de sens et le désir de se sentir utiles, ces nouveaux libraires contribuent au renouvellement et à la transformation de la profession. Majoritairement installés dans des zones dévitalisées, ils cherchent à créer des structures ancrées dans leur territoire en proposant une offre diversifiée accompagnée de propositions culturelles ou sociales. Pour son 36e dossier « Lumières sur… », Cécile Charonnat, journaliste pour le magazine professionnel Livres Hebdo, est allée à la rencontre de trois libraires qui ont ouvert leurs portes entre mars et août 2021. Trois parcours de vie, trois expériences professionnelles qui reflètent, dans leur singularité comme dans leurs points communs, les aspirations et les ambitions d’une profession en pleine mutation.

 

■ L’Oiseau-Vigie : offrir une librairie d’émancipation 

Fabienne Yvain l’a toujours clamé haut et fort. La librairie qu’elle ouvrira sera à son image : généreuse et touche-à -tout, curieuse et ouverte sur les gens et le monde, engagée et militante. Le pari est réussi. Dès la porte franchie, le visiteur de l’Oiseau-Vigie, ouvert le 5 mars 2021 à Saint-Pierre-des-Corps, pénètre dans un univers singulier. Si, au premier abord, la librairie généraliste obéit aux canons en vigueur dans la profession, un regard attentif y décèle des particularités revigorantes. Des sciences humaines largement représentées, un fonds de littérature ouvrière spécifique, peu de piles sur des tables malgré tout encombrées, une petite part de livres d’occasions, beaucoup d’ouvrages de fonds et « une forte présence sans doute inédite des livres imprimés à la demande », relève la libraire.

« Je ne lis pas tous les ouvrages qui entrent ici mais je les choisis tous », insiste Fabienne Yvain qui se targue de « certes manquer du dernier Prix Goncourt » mais d’avoir depuis le début les premiers livres de Mohamed Mbougar Sarr publiés notamment chez Présence Africaine. Pour cette ancienne directrice d’usine dans l’industrie et responsable du développement durable chez Yves Rocher qui a toujours entretenu une vie de « bénévole trépidante », de musicienne amatrice à famille d’accueil pour chats, ouvrir une librairie participe de cette conception de la culture qu’ont élaborée Jack Ralite et Bernard Lubat. « Tout le monde est capable d’y accéder, il faut juste donner les bons outils. Une librairie doit donc permettre de dégager un ou plusieurs salaires mais surtout mettre à disposition ces outils et faire en sorte que tout un chacun puisse en bénéficier en incitant le plus grand nombre à entrer », martèle celle qui a hésité à baptiser son magasin « la cave à munitions ». Elle lui a pourtant préféré le concept d’Oiseau-vigie, « moins guerrier » et de librairie-buvette qui symbolise justement ce désir d’accessibilité et cette possibilité d’entrer « même si on ne lit pas et si on n’a pas les moyens d’acheter des livres neufs. »

Rien d’étonnant non plus à ce que Fabienne Yvain choisisse Saint-Pierre-des-Corps, à la périphérie de Tours, pour s’installer. Economiquement, l’est tourangeau ne dispose pas de librairie et, même si la ville concentre les revenus les plus bas de la métropole, elle est en cours de gentrification et offre « de quoi faire vivre une librairie », analyse cette ancienne diplômée d’école de commerce. Mais son histoire ouvrière, sa richesse humaine « incroyable » et la politique culturelle déployée plus de 50 ans ont pesé tout aussi lourd dans la balance.

Lucide, la quinquagénaire s’est fixé pour premier objectif de passer Noël et de montrer aux habitants qu’ils peuvent acheter leurs cadeaux « ici, à Saint-Pierre-des-Corps » sans être obligés de se déplacer à Tours. Une fois franchie cette première étape, elle s’attaquera à son but principal : asseoir la dimension sociale et de lieu de vie de la librairie et en faire un projet de territoire et non une « entreprise personnelle seulement apte à flatter » son égo.

L’Oiseau-Vigie en chiffres :

60 m2 de surface de vente
6 000 titres
CA prévisionnel : 120 000 € dont 100 000 avec les livres neufs
Budget de création : 120 000 € dont 12 000 apportés par Ciclic. 

■ Liber & vous : retrouver des lieux de discussion 

Bourgueil, Emmanuelle Cassagnes connait bien. Cette ex-ingénieure de maintenance à la centrale nucléaire de Chinon, à quelques kilomètres de là, y vit depuis trois ans. Elle y est même conseillère municipale et engagée dans le milieu associatif. C’est donc d’abord en tant qu’habitante et mère de famille qu’elle ressent le manque « d’un commerce qui serait aussi un lieu de vie, de rencontres et de partages. » Aimant autant lire que rencontrer des gens, elle profite de la disponibilité d’esprit que lui offre le premier confinement et des nouvelles habitudes de vie qui en découle pour réfléchir à l’ouverture d’une librairie.

Confortée par une étude de marché réalisée en septembre 2020 et qui laisse apparaître un potentiel économique certain dans le bassin de Bourgueil, la trentenaire se lance un mois plus tard dans la formation de l’Ecole de la librairie, à Montreuil, doublée de quelques stages en magasin. Parallèlement, elle se met en quête d’un local qui doit répondre à une poignée de critères essentiels : pas moins de 50 m2, accessible aux personnes à mobilité réduite, en centre-ville pour éviter les déplacements en voiture et dont les murs sont cessibles.

Une fois la perle rare trouvée, tout s’enclenche très vite. Libérée de ses activités nucléaires en juin 2021, elle ouvre le 20 août Liber&vous. Généraliste, la librairie propose 4 500 références enrichies d’une offre de jeux et de jouets et d’un petit espace salon de thé. « Ce n’est pas pour développer l’activité, se défend la libraire en herbe, mais pour inviter les gens à se poser, à passer du temps et surtout à discuter entre eux entourés de ces formidables sources de débat que sont les livres. »

Renouer avec l’échange et le partage constitue l’autre axe de Liber&vous. « Aujourd’hui, on ne sait plus discuter », déplore Emmanuelle Cassages. Pour pousser plus loin cette dimension, elle s’est formée auprès de la fondation Sève, cocréée par le philosophe Frédéric Lenoir et qui vise à favoriser « le savoir-être et le vivre ensemble ». Armée de ce nouveau bagage, elle propose désormais des ateliers philo à un rythme bimensuel doublés de philo-gouters, une formule « allégée et intergénérationnelle pour permettre aux familles de découvrir le concept. » Un atelier d’écriture complète la palette d’animations. Elle compte aussi diversifier davantage son assortiment en intégrant par exemple des livres d’occasion, autant pour des raisons éthiques (recyclage et réutilisation) que des raisons économiques. Certaine qu’une librairie est « essentielle pour dynamiser un centre-ville », elle espère dans un premier temps contribuer à revitaliser sa rue et, d’ici cinq ans, ouvrir une petite annexe à un jet de livres de sa boutique actuelle pour, notamment, y développer la bande-dessinée, le manga et les jeux, vecteurs de lien social. 

Liber&vous en chiffres :
68 m2
4 500 à 5 500 références
CA prévisionnel : 126 000 € la 1re année, 150 000 € pour le 3e exercice
Budget de création : 100 000 € dont 10 000 apportés par Ciclic. 

■ Le Tumulte à Vouvray : jouer la proximité 

A 15 ans, Antoine Jarrige, caressait deux ambitions : devenir une rock-star ou ouvrir un café- librairie. « Le premier truc que j’ai envie de faire quand je sors d’une librairie, c’est de me poser pour feuilleter mes achats accompagné d’un café ou d’une bière. Le concept me paraissait donc très évident », explique le quadragénaire. Trente ans plus tard, après « beaucoup d’activités inutiles » et un certain nombre de lettre envoyées aux libraires des villes où il a habité successivement, il a quasiment réalisé l’un des deux rêves. Ouverte le 17 août 2021, le Tumulte à Vouvray n’offre pas de café mais n’en demeure pas moins une vraie librairie de proximité.

Muri pendant le premier confinement, alors qu’il travaille depuis sept ans au Cultura de Bègles-Bordeaux, navire amiral de l’enseigne, le projet prend forme dès l’été 2020. « Mon fils avait envie de campagne et moi, indécrottable urbain, je ne supportais plus l’odeur des villes ni la promiscuité », raconte le libraire. Le choix se porte rapidement sur Vouvray : des amis et de la famille habitent dans les environs et la librairie-papeterie-cadeaux du gros bourg, La Caverne d’Annie Baba, est en passe de tirer le rideau. D’abord accompagné d’une associée, Antoine Jarrige étudie la reprise de la Caverne avec la perspective de créer un restaurant au premier étage du local. Mais difficile de convaincre les banquiers alors qu’une partie de la future activité est contrainte à la fermeture pour cause d’épidémie mondiale.

Lâché par son associée en janvier, le libraire se rabat sur un local plus petit, 60 m2, mais plus près des rues commerçantes et mise entièrement sur la proximité. Un axe porteur si l’on regarde les premiers mois d’exploitation. « J’ai reçu un très bon accueil et la fréquentation dépasse tout ce que j’avais espéré. Les gens sont heureux de trouver une librairie au bas de leur rue. Ils semblent prêts à reprendre leur temps et à ne plus aller à Tours pour acheter leurs livres », constate le libraire qui « n’imagine pas » ne pas dépasser son premier chiffre d’affaires prévisionnel fixé à 168 000 euros au total.

Enchanté de « faire exactement tout ce qu’il veut tout en se rendant compte qu’il est loin de pourvoir vraiment faire tout ce qu’il voudrait », le principe même du libraire indépendant, Antoine Jarrige continue à découvrir les différents aspects du métier qu’il ne pratiquait pas chez Cultura : le travail seul « qui ne lui déplait pas », la réception et la tenue de caisse ou les tableaux de bord de gestion « qu’il ne peut plus voir en peinture ». Mais ce qui lui importe avant tout, c’est de faire évoluer son Tumulte avec ses clients. « Bien sûr qu’il s’agit de ma librairie mais je la vois aussi comme une co-construction avec eux », explique le libraire qui entend déployer rapidement animations, ateliers et rencontres, pour s’inscrire, lui aussi, pleinement dans son territoire.

 

Le Tumulte en chiffres
Surface de vente : 55 m2
5500 références
CA prévisionnel : 168 000 € (1re année)
Budget de création : 102 500 € dont 12 000 apportés par Ciclic


Cécile Charonnat, novembre 2021

photos @Cécile Charonnat


► Cécile Charonnat

Journaliste spécialisée sur les librairies pour Livres Hebdo depuis 13 ans, Cécile Charonnat a eu une première vie de libraire. Un métier complexe qu’elle transmet également depuis plus de dix ans aux apprentis engagés dans la licence Librairie de l’UCO à Laval. Parallèlement, elle anime des rencontres professionnelles et littéraires en librairie comme sur des salons.


Librairie L'Oiseau Vigie
37 avenue de la République
37700 Saint-Pierre-des-Corps
Tél. 02 47 41 18 36

Librairie Liber & vous
22bis, rue du Commerce
377140 Bourgueil
Tél. 02 36 04 64 31

Librairie La Tumulte
1 rue du Commerce
37210 Vouvray
Tél. 09 87 34 35 49