Le raptor contre-attaque

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extrait :

"Les yeux jaunes !
Le vent avait encore forci. Les vagues se jouaient du voilier. Elles se dérobaient sous sa quille, le cueillaient dans le vide avant de se le renvoyer l’une l’autre. L’homme serrait les dents et se cramponnait à la barre, conscient de ne pas valoir plus cher qu’un manchot taquiné par une orque affamée.
« C’est mal de jouer avec la nourriture ! » hurla-t-il soudain.
Ses mots ne purent se détacher dans la tempête et lui revinrent en pleine face. Pas sûr que l’humour l’aide à s’en sortir. Il avait péché par orgueil en refusant d’appeler les secours quand la météo s’était soudain dégradée et que le moteur de son Jeanneau Sun Odyssey avait tout aussi brusquement lâché. Mais il avait avalé trop de couleuvres ces temps-ci pour accepter de se faire humilier une fois de plus. Il gèrerait, et pas en amiral de bateau-lavoir. Lorsque le grain était passé de force 8 à force 9, il avait jugé qu’il n’y avait plus de honte à demander de l’aide. Oui mais les sauveteurs de la SNSM ne seraient pas là avant une bonne heure. Une heure dans cet enfer, autant dire l’éternité. Il avait largement le temps d’y passer. Ses bottes ripèrent sur le plancher du cockpit. Il perdit l’équilibre, se cogna au tableau de bord. Son cher bateau, en souffrance comme il l’était lui-même. Malmené, blessé... mais toujours debout. Le bien-nommé Raptor, débordant de morgue et d’aplomb, patronyme d’un tueur qui sévissait chez les dinosaures voilà plus de 65 millions d’années. Sa proue hautaine taillée pour narguer l’adversaire. À l’image de son skipper. A aucun moment celui-ci n’avait eu la tentation de lâcher prise, de se laisser emporter par les lames qui rinçaient à grande eau le pont du voilier, de s’offrir à la mer qui réclamait son dû. Elle aimait jouer ? Lui aussi ! La partie n’était pas finie. Et il n’avait certainement pas l’intention de cumuler les échecs. Déjà qu’il s’était fait jeter de sa société comme un malpropre, sous un prétexte foireux… Une malheureuse histoire qu’il ruminait depuis. Il se repassait inlassablement le film de ces derniers mois, cherchant quelle faute il avait bien pu commettre, quel coupable incriminer. Du coup, il avait été imprudent en sortant en mer sur un coup de tête, sans même consulter la météo, et s’était enlisé dans son erreur en tardant à lancer un signal de détresse. Il respira un bon coup.
« Ta vie prend l’eau de toute part ? Laisse passer l’orage, après tu marqueras des points » se promit-il"

Osnyssoise de longue date, Isabelle Bourdial était journaliste scientifique avant de devenir auteure. Ancienne rédactrice en chef du magazine Les Cahiers de Science & Vie, elle a publié de nombreux ouvrages scientifiques chez Nathan, Gallimard et Flammarion, et a dirigé la collection Portail des sciences chez Larousse. Elle a traduit et adapté des ouvrages à destination de la jeunesse chez Nathan et Gallimard Jeunesse et a collaboré à des émissions TV (E=M6, Animalia) et des docufictions tels Homo sapiens ou Le Sacre de l’homme. Elle anime aujourd’hui des ateliers d’écriture. Passionnée de polars, elle est à l’origine de Polar’Osny, LE festival de littérature policière organisé par la ville et la MéMO et dont elle était chargée de mission des 2 premières éditions.