Lumière sur… une actrice du livre de la région, Élodie Bonnafoux de la librairie Arcanes, Châteauroux

Avec son 33e dossier thématique "Lumière sur....", Ciclic Centre-Val de Loire vous propose un portrait d'une actrice du livre en région : Élodie Bonnafoux, libraire et propriétaire de la librairie Arcanes dans l'Indre. À Châteauroux, cette librairie est une véritable institution, elle est ancrée en centre-ville depuis 1828. En juillet 2020, la librairie a déménagé, rue de la Gare, dans la zone la plus commerçante de la ville, un nouveau local qui lui permet de tripler sa surface de vente en passant d'un espace de 150 m2 à 450 m2, et de doubler son offre en proposant près de 30 000 références. Arcanes est la seule librairie labellisée LIR (Librairie Indépendante de Référence) du département par le Centre national du livre.

À l'occasion de ce nouveau chapitre, Anne-Sophie Jacques nous présente cette librairie dynamique que Ciclic Centre-Val de Loire soutient depuis plusieurs années.  

Ce projet a bénéficié du soutien de Ciclic Centre-Val de Loire, qui propose aux librairies de la région des aides dont l'objectif est de garantir l'accès à une création éditoriale pluraliste et exigeante pour tous les citoyens, favoriser une dynamique d'animation et d'éducation et naturellement de soutenir une économie culturelle génératrice de chiffre d'affaires et d'emploi. 

« Les livres ont pris une valeur symbolique et affective »


par Anne-Sophie Jacques

Ce qui frappe de prime abord quand on pénètre dans la librairie Arcanes rue de la Gare à Châteauroux, c’est l’ambiance paisible qui s’en dégage. Même les stocks de livres qui arrivent sur palettes et la danse des livreurs venus réapprovisionner les lieux ne troublent pas l’atmosphère. Les ouvrages en rayon sont autant d’invitation à l’évasion et si nous n’avions pas en perspective l’interview d’Élodie Bonnafoux, nous passerions volontiers en revue tous les titres rangés sur les étagères « Curiosités » ou « Le monde des idées ». « Sur la première, nous proposons des livres qu’on ne peut définir, ceux qui font un pas de côté » explique la propriétaire des Arcanes. « Sur la seconde, les sciences sociales qui, je l’avoue, m’attirent de plus en plus. » Puis la libraire poursuit la visite de sa boutique toute neuve : « nous avons emménagé fin juillet après deux mois de travaux intenses sur les trois niveaux qui abritaient auparavant une agence immobilière. » Les yeux d’Élodie Bonnafoux pétillent de malice, pas mécontente d’avoir remplacé un marchand de biens par une marchande de livres. 

Au rez-de-chaussée donc, curiosités, actualités, romans et livres beaux-arts se partagent l’espace. Au deuxième, une exposition d’André Lhote nous accueille. Le peintre a eu pour élève René Pècherat, artiste et ancien professeur d'art plastique à Châteauroux, décédé en 2016. Une toile, des lithos, des photos participent à la chaleur du recoin destiné initialement à un petit salon de thé. Ce dernier, tout comme la terrasse, ouvrira quand les conditions sanitaires le permettront. Au deuxième toujours, les livres pratiques et bien-être, la pop-culture, la BD et les livres jeunesse. Au troisième enfin, le rayon papeterie et beaux-arts, grande nouveauté de cette récente installation. « Dans notre ancienne boutique, les clients demandaient souvent des articles de papeterie, j’avais donc envie de répondre à cette demande. Quant aux pinceaux, peintures et autres chevalets, ce sont des confrères libraires qui m’ont soufflé l’idée. Nous ne vendons que des produits de qualité pour les élèves de l’école des Beaux-Arts, les amateurs et les professionnels qui savent ce qu’ils font. Il n’y avait rien dans ce domaine à Châteauroux : les artistes devaient se rendre à Tours ou à Limoges pour s’équiper. » 

Auparavant, la librairie Arcanes était nichée à quatre rues de là, dans une rue devenue au fil du temps celle des restaurants. Il faut dire aussi que la librairie a traversé des décennies : installée en 1828 dans un lieu de passage très commerçant, restée indépendante tout ce temps, elle a fini par être entourée exclusivement de restaurants et leurs terrasses couvrant toute la rue six mois par an, laissant un mince chemin pour le chaland. « Nous étions ouverts quand eux étaient fermés, quasiment seuls les habitués, ou ceux qui entendaient parler de la librairie par le bouche-à-oreille, venaient chez nous. Il était temps de partir ». Élodie Bonnafoux a donc choisi de déménager après neuf années passées dans une boutique d’époque. « L’endroit était magnifique, une sorte de guitoune en bois avec un côté patrimonial. Mais quand je l’ai rachetée en 2011, elle était vraiment vétuste et surtout, il n’y avait aucun logiciel de gestion. L’ancienne libraire travaillait encore avec des petites fiches écrites à la main. » 

« C’était maintenant ou jamais. » 

Rien ne prédestinait Élodie Bonnafoux à faire l’acquisition d’une librairie. Elle est née et a grandi à Paris avant de faire des études universitaires en tant que linguiste. C’est son amoureux berrichon qui l’invite à s’installer du côté de Châteauroux en 2003. Elle passe alors le concours d’attachée territoriale en tant que candidat libre. Une semaine après les résultats, elle apprend qu’elle attend son premier bébé. Un an après, elle occupe un poste d’administratrice à la mairie de Châteauroux puis re-congé maternité. Elle rejoint ensuite la direction générale au service des habitants comme bras droit du directeur et gère les questions liées à la jeunesse, à l’éducation, au sport, à la sécurité… et à la culture. C’est dans ce cadre qu’elle s’occupe de l’organisation du Salon du livre pendant trois ans et se familiarise ainsi avec l’écosystème local. Puis vint son troisième bébé et, par hasard, elle apprend la mise en vente des Arcanes. « Je suis allée voir la libraire entre midi et deux, et ensuite tout s’est déroulé très vite. » Élodie Bonnafoux prend contact avec les acteurs du livre au niveau national et local – dont Ciclic. « C’était maintenant ou jamais. » 

Grâce à la vente d’un petit bien immobilier parisien, elle rachète le fonds de commerce et emprunte à la banque de quoi rénover les lieux. Elle démarre son activité avec une salariée. Un an après son installation, l’espace culturel Leclerc du centre-ville tire rideau. Elle embauche alors deux apprentis, puis une, puis deux libraires. Élodie Bonnafoux ouvre même une boutique entièrement consacrée à la bande-dessinée baptisée Arcanix, et revendue depuis. Puis elle décide finalement de déménager. Entre temps, Élodie Bonnafoux apprend l’arrivée de la Fnac en centre-ville de Châteauroux, prévue fin 2019. « Je m’étais préparée à une baisse de mon chiffre d’affaires mais nous avons réalisé 10 % d’augmentation, comme les autres mois. L’installation de la Fnac est donc un non-événement. » Assurément, l’esprit de solidarité a joué mais pas seulement : longtemps en situation de monopole dans la ville, la libraire a toujours refusé de s’endormir sur ses lauriers et a poursuivi son travail de fonds pour une offre de qualité. C’est exactement dans cet esprit qu’elle a choisi – au risque de déboussoler ses fidèles clients – de s’installer dans un local aménagé sur-mesure, avec l’envie de continuer à inviter des auteurs mais aussi de créer des animations jeunesse ou des ateliers beaux-arts. 

Le transfert est prêt quand s’annonce, en mars 2020, le premier confinement... Mauvaise blague. 

Le transfert est prêt quand s’annonce, en mars 2020, le premier confinement. Élodie Bonnafoux devait récupérer les clés de son nouveau local le 1er avril. Mauvaise blague. « Au début, j’étais très mal. Il y a eu une semaine de flottement où j’étais perdue. Mais une fois intégrées les questions d’organisation et de financement, le chômage partiel, les demandes d’aides à l’État, j’ai recommencé à travailler. Je devais faire l’inventaire avant le 31 mars, je m’y suis mise seule. J’avais cependant beaucoup de commandes arrivées avant le confinement alors j’ai décidé de livrer mes clients prévenus grâce à notre newsletter. De fil en aiguille, j’ai reçu de nombreuses commandes. J’ai quasiment vidé tout mon stock.» La libraire gère alors les commandes le matin et, l’après-midi, parcourt le département avec son véhicule utilitaire à l’aide d’une application chargée sur son téléphone pour optimiser ses tournées. « J’aimais aller chez les gens, ils m’attendaient comme le messie ». Un épisode magique qui a manifestement créé des liens. 

une foule de clients assoiffés de livres débarquent

Une fois l’épisode confiné terminé, la librairie rouvre ses portes le 11 mai et une foule de clients assoiffés de livres débarquent. « Nous avons fait un très bon mois de juin tandis que se préparait le déménagement. Nous avons fermé trois jours seulement. » L’activité ne faiblit pas et les cinq salariés et demi que compte la librairie (et bientôt six et demi) et les deux apprentis ne sont pas de trop. Quand arrive le deuxième confinement, l’équipe est prête. « Nous savions déjà faire ». Cette fois-ci, l’État soutient la profession en portant les frais d’expédition à un centime d’euro afin de contrer la concurrence d’Amazon. Quand le confinement prend fin en décembre, là encore la boutique fait face à une avalanche de clients. Certes, la période de Noël est toujours faste pour les libraires. Le livre est souvent le cadeau de dernière minute. Mais ce mois de décembre 2020 a été particulièrement faste pour l’ensemble des librairies françaises qui ont enregistré, en moyenne, une augmentation de 30 % de leur chiffre d’affaires. Élodie Bonnafoux l’explique simplement : « les médias ont beaucoup parlé des difficultés rencontrées par les libraires, et les livres ont pris une valeur symbolique et affective. Et puis nos clients ont eu peur pour nous. J’y vois également un retour au temps long. Dans cette période où tout va vite, le livre est un refuge : il nous fait du bien. »

Anne-Sophie Jacques, janvier 2021

► Anne-Sophie Jacques est autrice et journaliste. Elle a travaillé pendant dix ans pour le site Arrêt sur images et a collaboré en 2008 au journal Ebdo en tant que rédactrice en chef adjointe chargée des relations avec les lecteurs. Elle est aujourd’hui journaliste indépendante et gère notamment les courriers du député François Ruffin et du chercheur « in-terre-dépendant » Pablo Servigne.

Bibliographie :
Déclic, Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques [Les Arènes Éditions, février 2020]
La Crise et moi : Petit manuel de résistance au matraquage médiatico-économique, Anne-Sophie Jacques [Arrêt sur images, décembre 2012]


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