En 2015, Guénaël Boutouillet menait pour le site de Ciclic un entretien avec les éditions HYX. Nous y apprenions l’histoire du nom de cette maison d’édition associative, créée en 1993, et découvrions son actualité d’alors, consacrée aux premières éditions d’ouvrages de fiction. Pour prolonger cet article, Sandra Émonet a rencontré de nouveau Emmanuel Cyriaque et Olivier Buslot, qui assument la direction de cette structure à but non lucratif et aux modalités collégiales. Elle a choisi de concentrer ses questions sur les grandes périodes qui ont jalonné ces 25 dernières années pour mieux appréhender leur positionnement actuel.
■ Les Temps d'HYX
par Sandra Émonet, janvier 2019
Connaissez-vous la fable du Loup et du Chien ?
Lors de notre entretien, Emmanuel Cyriaque l’a évoquée comme parabole du positionnement d’HYX dans le paysage éditorial français. En ce jour froid de décembre, nous étions assis autour d’un café, confortablement installés au premier étage de l’austère bâtisse de la rue du Taureau, à Orléans, ancienne fabrique de farces et attrapes.
La liberté de choix des éditions HYX prend en effet valeur de résistance, à l’image du Loup de la fable. La Fontaine y met en scène sa rencontre avec un Chien bien portant. Celui-ci convainc presque son compagnon sauvage de se faire domestiquer pour manger à sa faim, mais le Loup préfère finalement jeûner et préserver sa liberté, qu’il ne souhaite échanger contre aucun trésor.
Emmanuel Cyriaque et Olivier Buslot revendiquent avec fierté la petite taille de leur structure qui joue avec agilité et réactivité dans la cour des grandes depuis plus de vingt ans. Après une vie professionnelle qui aurait pu devenir tout autre — les études d’Emmanuel le destinant à une carrière universitaire en histoire de l’art tandis qu’Olivier devenait consultant en relations publiques — ces deux amis d’enfance sont devenus éditeurs par la force des choses. Agitant les réflexions et cherchant des formes, cet indéfectible duo fédère également la dizaine de membres du conseil d’administration et, selon les aventures éditoriales ou événementielles, un réseau conséquent d’auteurs, de chercheurs, de graphistes, d’artistes, d’architectes et de penseurs.
Les débuts : la revue EXPOSÉ
Au début des années 90, au sein d’un groupe d’une dizaine de passionnés d’art et d’architecture, Emmanuel et Olivier s’embarquent dans une folle aventure : la réalisation d’une revue croisant des éclairages inédits et prospectifs. L’objectif d’EXPOSÉ est d’articuler des points de vue internationaux de référence autour d’une thématique transversale. Quatre numéros verront le jour entre 1994 et 2003[1], accompagnés par la naissance, en 1993, des éditions HYX. Ils me confient que réaliser de nos jours une revue comme celle-ci serait impossible à un prix de publication raisonnable, notamment par la quantité des visuels reproduits (environ 800 par numéro). C’est dans un esprit plutôt punk que ce pari a alors été relevé.
Parallèlement à la diffusion des premiers numéros de la revue, la maison d’édition s’est déployée progressivement, dans toute l’exigence et la diversité de son catalogue, après que des auteurs, invités dans EXPOSÉ, l’avaient appelée de leurs vœux.
Du positionnement art et architecture aux enjeux du numérique
HYX commence alors à éditer des livres consacrés à l’architecture, à l’art contemporain et la philosophie. Si le monogramme X marque toutes les tranches des catalogues d’expositions, des essais, des romans, des revues et plus récemment des journaux, chaque ouvrage constitue un objet éditorial singulier, pensé dans un rapport entre fond et forme particulièrement réfléchi et assumé. Chacun se singularise en effet par un format, un graphisme, une mise en page, et même un grammage et un type de papier spécifiques.
À partir des années 2000, HYX investit le domaine des cultures numériques, ouvrant à la même période son site Internet proposant son catalogue en ligne. Tout comme l’entrée dans le monde de l’édition avait été provoquée par la réalisation d’Exposé, la revue Anomalie digital arts entraîne HYX dans le questionnement des enjeux, à la fois historiques et prospectifs, du numérique.
Cette réflexion l’amène naturellement à s’aventurer dans le champ de la littérature, à partir de 2012, en créant sa collection Graphes qui explore de nouvelles formes d’écriture et de lecture.
Où va HYX ?
Vingt-cinq ans après sa toute première publication, l’équipe d’HYX suit en permanence une dizaine de projets qui seront finalisés en moyenne dans les deux ans. Leur catalogue de plus d’une centaine de titres, diffusé internationalement (à hauteur de 60 %) avec Idea Books, nourrit parallèlement cinq domaines de connaissances (architecture, art contemporain, philosophie, cultures numériques et littérature) déclinés en sept collections[2].
Le point commun de tous ces projets est la dimension de recherche. Dans un contexte de raréfaction des ressources, dû notamment aux restrictions liées aux droits à l’image, la maison d’édition ne cesse de renouveler ses stratégies de résistance et d’invention. Au sein de l’économie juridique des droits visuels, elle continue d’explorer des solutions alternatives de diffusion des images, comme en témoigne l’interprétation par le dessin d’œuvres de Diego Vélasquez dans le roman Le Livre de Portraiture de Steve Tomasula[3].
Logiquement, son questionnement des formes de l’édition s’est étendu à celui de ses outils et de son nouveau langage : le code informatique. Ainsi, depuis dix ans, son engagement sur les nouvelles formes d’édition vise à contrer le despotisme des logiciels propriétaires de mise en page ou d’édition. Ces logiciels traditionnels cloisonnent leur usage, de manière légale ou technique, et protègent l’accès à leur code source contre toute modification ou évolution. Explorer des technologies plus accessibles et conviviales permet de facto d’encourager de nouvelles créations textuelles, syntaxiques ou sémantiques.
HYX est ainsi membre actif du tout nouveau groupe de recherche PrePostPrint, constitué « autour des systèmes de publication libres alternatifs » pour « repenser les maillons de la chaîne de publication. » Ce groupe considère que « La programmation devient un outil de design et permet de réinventer sans cesse le processus de création éditoriale, questionnant les formats et les formes de publications.» De manière très concrète, HYX a également initié en octobre 2017, au salon de l’édition alternative, le journal Code X, dernier né de la collection Graphes. Apériodique et réalisé sous logiciels libres, ce journal permet à la fois aux lecteurs de découvrir pour un coût modique des projets innovants et des ressources de référence, et au directeur de publication, aux auteurs, graphistes, correcteurs et traducteurs de collaborer directement au sein d’une interface commune en ligne. Il peut ainsi être imprimé à la demande (système dit « web-to-print »). Ce journal associe donc la constitution de ressources, sur un temps long, à la réactivité de l’événement.
Envisageant continuellement de nouveaux modes de diffusion, la maison d’édition orléanaise souhaite d’ailleurs explorer pleinement dans le futur les formats événementiels. Elle considère en effet l’édition comme un langage pluri-médias par essence, pouvant concerner tous les domaines de la création (le texte, le son, l’image...).
Prudence et bravoure
Depuis leur création en 1993, les éditions HYX font, de manière indépendante, des livres ambitieux issus de rencontres avec des penseurs, chercheurs, artistes… qui tissent progressivement un réseau de réflexion interdisciplinaire.
Bien qu’elle bénéficie de soutiens réguliers pour ses publications[4], cette petite maison d’édition cherche à garantir son indépendance financière dans le long terme. Elle surveille donc scrupuleusement sa trésorerie pour assumer le financement de projets éditoriaux à perte grâce aux ouvrages à plus grands tirages. Si les professionnels impliqués pour la réalisation des ouvrages édités, dont certains sont de véritables livres-objets, sont rémunérés au juste prix, les coûts annexes sont réduits au maximum. Emmanuel et Olivier expédient eux-mêmes les commandes depuis la forêt de piliers cartonnés au rez-de-chaussée de leurs bureaux, qui constitue leur réserve, et sont au quotidien de véritables couteaux suisses de l’édition.
Les bras chargés de leurs dernières publications, que je m'apprête à savourer dans le train, j'emmène avec moi leur énergie contagieuse, leurs interrogations mobilisantes et leur résistance salutaire, en méditant sur la conclusion de la fable du Loup et du Chien.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu'importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
[Sandra Émonet, janvier 2019]