À l'occasion du dossier Livre #31 : Lumière sur… les acteurs du livre face à la pandémie découvrez ici le témoignage d'Audrey Gaillard, chargée de mission de l’Association Val de Lire de Beaugency (45)
Ce devait être la 35ème édition du salon du livre jeunesse de Beaugency. Prévu les 3, 4 et 5 avril, ce temps fort et attendu dans cette ville de 8 000 habitants a été suspendu dès le 11 mars. « On ne voulait pas y croire » se souvient Audrey Gaillard, chargée de mission de l’association Val de Lire qui gère, entre d’autre, l’organisation du salon. « Nous étions dans un tel élan, dans un tel moment de fusion que ce fut un arrêt très brutal, très violent. » Après avoir passé une semaine à imaginer mille et une façons de ne pas annuler l’événement, le couperet est définitivement tombé avec la fermeture des écoles et l’annonce du confinement le 17 mars. Dix mois de travail – et des milliers d’enfants qui s’étaient préparés à accueillir un·e auteur·rice ou un·e illustrateur·rices en lisant, en écrivant, en dessinant – privés de son aboutissement.
Il a donc fallu prévenir les 23 auteurs et autrices invité·es cette année ainsi que tous les intervenants : libraires, comédiens, musiciens, animateurs des ateliers… Il a fallu annuler les 120 rencontres prévues dans les écoles des alentours. Fermer l’exposition de l’invité d’honneur Christian Voltz qui utilise des objets au rebut pour créer des personnages. Une exposition inaugurée quelques jours avant le confinement et parfaitement en lien avec le thème de cette année : Et si demain, réflexion autour de la nature et de l’environnement.
Il a fallu également revoir tout le budget. Si l’association Val de Lire avait réussi à trouver un équilibre financier ces dernières années, l’arrêt des activités vient fragiliser la structure. Sur les 95 000 euros de budget alloué au salon du livre, 50 000 ont déjà été dépensés, notamment dans la communication. De même, les auteurs et autrices ont perçu la moitié de leur rémunération prévue – un choix qui suit la position de la Fédération des Salons et Fêtes du Livre Jeunesse. Audrey Gaillard et sa collègue Anouk Gouzerh, les deux salariées de l’association, ont bénéficié respectivement du congé maladie pour garde d’enfants et du chômage partiel.
Audrey Gaillard espère que les différents financeurs seront au rendez-vous. Pour les convaincre, elle a dressé un bilan de toutes les actions menées en amont de l’événement. Le salon n’est en effet que la partie visible des missions réalisées par Val de Lire. L’association, agréée par la CAF depuis 2011 pour son action sociale et sa lutte contre l’isolement, intervient régulièrement auprès d’un large public d’enfants et d’adultes. Depuis 2013, elle déploie également un camion qui sillonne les parcs ou stationne aux pieds des immeubles. L’équipe de lecteurs et lectrices est très active et, jusqu’à mars, des rencontres étaient organisées quatre à cinq fois par semaine. Il a donc fallu se réinventer. « J’ai passé beaucoup d’appels pour prendre des nouvelles. Je savais que certaines personnes seraient très isolées » explique Audrey Gaillard. Des lectures ont été enregistrées puis diffusées sur une chaîne Youtube avec accès privé. Une chaîne téléphonique, sur le modèle proposé par l’association Livre passerelle de Tours, a été expérimentée. « On se partageait ce qu’on voulait au téléphone, des histoires mais aussi des recettes. » Des valises avec des livres ont également circulé.
Si l’épisode du confinement est venu rompre le lien charnel, il a mis en lumière le rôle primordial des associations portées par de nombreuses personnes qui coopèrent solidairement. « La crise sanitaire renforce aussi les valeurs que j’ai envie de continuer à porter » conclut Audrey Gaillard. Des valeurs qu’on retrouve sur le salon habituellement : la fraternité, la mixité, l’ouverture d’esprit, le tout dans un temps suspendu qui résonne aux bruits des pages feuilletées.
[juin 2020, témoignage recueilli par Anne-Sophie Jacques]