— Publié le 22/03/2022

Morceaux choisis 2 – #4 Récits de la 15e édition des mille lectures d'hiver

Ciclic a demandé à Aurélien Lemant d'éditorialiser les « carnets de route » de la 15e saison, si particulière, de mille lectures d'hiver ; il vous invite à en vivre la réalité intime. Aurélien Lemant est écrivain, metteur en scène et aussi comédien. À ce titre, il a lui-même été l’un des comédiens-lecteurs des mille lectures d’hiver. C’est dire s’il connaît l’aventure ! Ciclic vous propose de découvrir ici le quatrième et dernier épisode de la série...

Morceaux choisis 2

– A  

« Le commencement d'une histoire d'amour en est la meilleure part et toute vraie passion est un commencement toujours renouvelé. C'est pourquoi les vraies passions ne se terminent jamais, mais cessent un jour de commencer. »

Joël Baqué, in La Fonte des glaces

 

C’est drôle, en 2021, deux livres sur les quarante-et-un choisis par les Mille Lecteurs d’Hiver avaient le mot amour dans leur titre. Par comparaison, seulement cinq d’entre eux contenaient l’article indéfini « un ». Comme par exemple dans Un amour, justement, de Christophe Manon.

Des personnes qui aiment lire, d’autres qui aiment qu’on leur lise. « C'était face à un important auditoire de dix-sept personnes que j'ai pu donner ma lecture dans la salle des mariages. » C’est beau de venir marier une œuvre avec des inconnus, comme un officier de mairie alternatif, un pasteur laïc, une fée, c’est bon de célébrer la possibilité d’un amour. « Dix-sept personnes pour la plupart très averties, mais certaines semblaient néanmoins nouvelles venues aux Mille Lectures ! Toutes ravies d'être au rendez-vous, dans le frais soleil printanier qui baignait le parc. » Des lecteurs, à haute voix ou en leur for, qui s’émerveillent de retomber amoureux de ce qu’ils croient connaître par cœur – mais le cœur, n’est-ce pas… « Il y a un passage où j'étais très émue aujourd'hui parce que je n’avais pas lu ça encore, pas vu en tous les cas, ce que j’ai vu, là, aujourd'hui, qui m'a émue. C'est ce que j'aime quand je lis de la poésie, ces surprises qui naissent au détour d'une image. J'aime les mots dont les sens multiples miroitent et scintillent différemment selon la lumière du jour, l'heure, la présence. » Et partout des gens qui aiment se réunir. Se voir et s’entendre. Le livre posé au milieu est un accident collatéral, un prétexte sincère et un trait d’union au marqueur gras pour ne pas oublier. « Je retrouve dans l'assistance des amis de mes parents que j'aime beaucoup. Heureux hasard. » Ou connivence électrique, secret amour partagé. Rose blanche. A laisser sécher entre la couverture et la page de garde.

 

– B –

« Quelques lignes se dessinent sur le plafond : narrateur, ta mémoire est une aiguille qui transforme le temps en dentelle. Et si les trous étaient plus mystérieux que les contours que tu dessines ? Quelle est donc cette part de toi qui pourrait remplir les trous de ta dentelle ? Qui es-tu ? »

Fatou Diome, in Le Ventre de l’Atlantique

 

Mais oui, qui est le narrateur ? Est-ce celui qui lit ou celui qui écrit, un personnage ou l’ouvrage lui-même ? Bien des énigmes se posent là où on ne les attend parfois pas du tout, et le public aime demander autant que répondre, tester ou douter. « Je prépare toujours la rencontre qui suit, je note des éléments sur une fiche bristol en cas de trou de mémoire, de panne d'inspiration durant l'échange... Mais cette année encore, je n'ai pas tellement eu besoin de la fiche, cette première rencontre s'est passée très simplement : les remarques et sensations des lecteurs ont naturellement amené les sujets de discussions. L'heure est vite passée. On m'a dit que mon enthousiasme y avait été communicatif. Même si le texte ne touche pas tout le monde, la discussion apporte un éclairage à certains. Je crois beaucoup à cela : que certaines personnes peuvent nous amener à des œuvres dont on n'aurait pas pensé qu’elles nous plairaient, que les affinités et la médiation des artistes font tomber des barrières et ouvrent des chemins. »

 

– C –

« L'enfant possède une chose que l'adulte cherche désespérément tout au long de son existence : un refuge. Ce sont les parois de l'utérus avec tous les nutriments affluant quotidiennement qu'il faut parfois arriver à reconstruire autour de soi. J'ai l'étrange impression que lorsque l'on échoue, le monde cherche à nous y remettre par un coup du sort, quelque chose du dehors nous rappelle à la vie intérieure en nous enfermant dans un huis clos a priori lugubre, mais en réalité salvateur. Quatre murs étroits, une petite porte et des contacts restreints – Hugo sur l'île dans la paroisse face à la mer compose ses vers ; Soljenitsyne dans les bois du Vermont se ressaisit de l'histoire russe ; Trotski dans ses prisons échappe à la mort et écrit ; Lowry dans sa cabane rassemble le bruit du monde pourtant invisible d’où il se trouve. Que fais-je d'autre que ce qu'ils ont accompli ? »

Nastassja Martin, in Croire aux fauves

 

Que celles et ceux qui ont déjà participé à une des Mille Lectures d’Hiver s’en souviennent : au terme de la rencontre, cela fait « "grand bien d'avoir de l'air qui [vous] circule dans la tête !" ». Cette brèche dans l’existence qui autorise un repli vers les origines, recréant les conditions initiales de l’enfance primordiale – la douceur de ténèbres encore intactes, le son d’une voix parvenue comme depuis les gouffres, le mystère et l’échange des flux au sein d’un microcosme protecteur –, ce huis clos salvateur, la lecture publique les restitue tout entiers. « Venu en vélo reparti en vélo » clame un lecteur bravant les départementales à deux roues, « cette lecture fût un moment à part, comme un postier, un livreur de quartier, un boulanger par exemple, enfin une sorte d'essentiel » accouru pour déposer le nutriment, le « mystique aliment » dirait Baudelaire, qui fait notre vigueur et notre longévité face au froid, aux règles de distanciations, un bipède avec son livre en papier arrivant un peu plus tôt que l’horaire indiqué pour installer « sept chaises qui semblent perdues dans l'immensité du désert… ». 

 

– D –

« Vous croyez pouvoir traverser cette vie en faisant semblant, en souriant et en agissant comme si vous n'aviez rien à voir avec tout cela, pas vrai ? Eh bien, vous vous trompez. »

Laura Kasichke, in En un monde parfait.

Avant. « L'accueil avait lieu dans une petite salle attenante à la bibliothèque. Deux bénévoles en charge de la bibliothèque m'y attendaient. Elles avaient installé une petite table d'écolier, une grosse lampe de salon et un petit verre à pied rempli d’eau posés dessus. C'était assez mal assorti mais très attendrissant. »

Pendant. « La lecture se déroule dans un fabuleux silence, signe d'une attention extrême. Les mots ne se perdent pas, ils chatouillent les oreilles et titillent les esprits. »

Pause. « Après les derniers mots lus, nous traversons un petit moment empli d'un étrange silence. »

Ensuite. « Les réactions fusent avec célérité. Je ne me suis pas trompé, on s'est littéralement régalé de chaque mot, de chaque inflexion, de chaque surprise dans ce texte qui en regorge. Nous nous amusons à en commenter chaque détail, à raconter l'effet produit par tel ou tel passage du récit, nous baguenaudons joyeusement dans un vrai bonheur littéraire. Et cela dure, cela dure, cela dure… ».

Les Mille Lectures d’Hiver, c’est tout cela. Et en même temps, en même temps… une fois parcourus tous ces comptes-rendus intimes issus des carnets de route des comédiens, on n’en a encore absolument rien dit. Ou précisément, on n’a fait que dire.

Or, elles ne se racontent pas, les Mille Lectures.

Elles se vivent, et aucune n’est clone ni jumelle d’une autre.

C’est un art et un don du présent.

 

« C’est le soleil qui m’a réveillé, il appuyait sur mes paupières avec ses pouces chauffés à blanc. J’ai mis un bras en travers de mes yeux pour continuer à dormir. Il y avait un grand calme autour de moi, juste le bruit de l’air qui poussait sur la terre. »

Jean-Baptiste Andrea, in Ma reine.


Fin du quatrième et dernier épisode.

Les parutions à suivre s’inspirent directement des carnets de route des lecteurs-comédiens des Mille lectures d’hiver. Leurs contributions figurent en caractères gras italiques. Pour la richesse de leurs récits, remerciements à Boris Alestchenkoff, Mélissa Barbaud, Ulysse  Barbry, Bénédicte Bianchin, Sylvie Boivin, Adrienne Bonnet, Coraline Cauchi, Yvan Chevalier, Jean-Christophe Cochard, Fabienne Courvoisier, Bruno De Saint Riquier, Caroline De Vial, Thierry Debuyser, Isabelle Destombes, Pierre Fesquet, Françoise Forêt, Stéphane Godefroy, Richard Graille, Tiphaine Guitton, Sarah Haxaire, Nathalie Kiniecik, Baptiste Kubich, Leïla Lemaire, Martin Lenzoni, Yann Lheureux, Thomas Lonchampt, Benoît Marchand, Marion Maret, Antoine Marneur, Danièle Marty, Laure Pasques, Julien Pillot, Lélio Plotton, Bryan Polach, Anne-Elisabeth Prin, Ismaël Ruggiero, Guy Frédéric Schwitthal, Marion Souillard, Anne Trémolières, Elise Truchard ainsi qu’à tous les accueillants et leurs invités.