Le semainier d'Anne Savelli | mars 2018
De bruit et de douceur #3

Le semainier est un journal d'écriture qu'Anne Savelli met en ligne chaque dimanche depuis le 1er janvier 2018 sur son blog, expérience destinée à durer un an. On y trouve du texte, des photos, des liens vers des vidéos et des fichiers son. Parmi ces derniers, apparaissent parfois des « minutes à », portraits miniatures et sonores des villes dans lesquelles elle se rend. Elles sont amenées à se développer.

Nous vous proposons de retrouver ici les extraits du semainier qui concernent sa résidence à Chartres ainsi que son nouveau projet d'écriture, intitulé Bruits, roman qu'elle entame alors qu'elle termine le livre précédent, Volte-face, consacré à Marilyn Monroe et à la photographie.
Il est parfois également question du collectif d'auteurs L'aiR Nu (Littérature Radio Numérique), auquel Anne appartient, et qui propose régulièrement des actions poétiques et littéraires, en ligne ou in situ. Chaque vendredi, elle met en ligne sur le site deux lectures audio sous le titre 36 secondes

La rubrique sera régulièrement actualisée jusqu'au début de l'été prochain. 

[découvrez le semainier de janvier ici et celui de février ici]

>>> MARS<<< 

Semaine #9 – écrire, sortir, oui, non

En finir avec Marilyn...
Notes :
Volte-face, le livre « sur » Marilyn Monroe est consacré au lien qu'elle entretenait avec la photographie.
Magali Albespy organise des sessions où des artistes de différentes disciplines (danseurs, musiciens, écrivains...) travaillent ensemble dans une salle de répétition autour de l'écoute, du mouvement et du son. 

Lundi Je commence par créer un message automatique pour indiquer à qui m'enverrait un mail ou voudrait me téléphoner que cette semaine, je me déconnecte. Idem sur les réseaux sociaux. Puis je trouve comment en finir avec la description des séances photo (je n'ai pas dit : avec le livre). Ça me vient tout de suite, ce qui me perturbe un peu. Trop facile ? Possible. Non seulement ça l'est, mais en plus l'idée paraît tenir, en tout cas pour l'instant je peux la justifier, d'où une certaine patauge toute cette première journée. Écriture quand même. Cap passé des 420 pages, le manuscrit première version en comprendra dans les 430 à la fin, comme je le supposais, peut-être davantage (pas sûr). 

Suivent une série de considérations sur l'écriture de ce livre, puis 

Vendredi Je ne commence pas du tout par aller nager : je finis mon livre. A midi, voilà, ça y est, c'est terminé. Près de 450.000 signes, plusieurs années de travail, et de longues heures (semaines ?) encore à relire, à retravailler, à réajuster - j'ai abandonné Betty Page dans un couloir de mon exposition, il va bien falloir que j'en fasse quelque chose, par exemple - mais enfin voilà. Victoire, quand même, sur ces éditeurs qui vous lancent sur une piste, s'enthousiasment puis coupent court, ne répondent plus au téléphone ; sur l'argent qui manque et la façon de le gagner pour continuer à écrire, dans une invisibilité totale ; sur les doutes, les inquiétudes.

Savourer la satisfaction, parce que d'expérience elle dure peu. Quelque chose s'en vient, qu'on peut nommer, dont on peut parler, qui va prendre son autonomie : un bon gros bébé qui tient sur ses jambes, me dis-je. Voilà comment je me le représente.
Allez hop, nager ! J'arrive à la piscine : bonne blague, elle est fermée depuis quinze jours pour nettoyage des bassins, rouvre demain. J'ai écrit le corps réduit à une tête, à deux mains qui tapent et deux yeux, et je n'ai rien raté : les lignes d'eau m'auront attendues.

Sortie du jour : après la piscine ratée, marcher dans Paris sans prendre ni notes ni photos.

Samedi Jour du corps, enfin, longueurs sur 40 minutes, puis traverser à pied la moitié de la ville. Le soir, je m'occupe du petit son promis sur l'avenue Mozart (mélange de texte lu, de bruits de la rue et de radio-boutique) à Philippe Aigrain, hop, hop, à onze heures ou minuit c'est fait.
Et demain ? Ah, demain, c'est matinée avec Magali Albespy. 

Dimanche Pluie continue, métro aérien bâché de blanc, lire le début de Fenêtres dos à la ligne où il fut écrit seize ans plus tôt, lire également un peu de la nouvelle Tu n'es jamais seul/e dans la nuit inspirée par une performance de Serge Teyssot-Gay et Paul Bloas il y a quelques années, sept ans, tiens, oui. Dans le métro, penser par décennies. Se dire que, même lentement, même à avoir envie de tout secouer pour que ça accélère, aille plus vite, les choses avancent.

Dans la salle de danse, le corps qui revient, imperceptiblement tandis que les autres dansent, chantent, parlent, murmurent, s'allongent, s'écoutent, cherchent, tentent, rient.

 

 

Semaine #10 – avant, arrière, accueil et hasards

Où Bruits est là, en arrière-fond 

Lundi, mardi Ce manuscrit terminé, c'est si fort, comment redémarrer ensuite ? Il y a Bruits qui titille, ce qui est parfait. Mais encore ? Il y a les mails, les messages en retard, l'organisation qui doit reprendre. A ce propos, justement, comment mettre en place la relecture de VF, qui va être longue ? Se décider pour une heure par jour, ou plutôt deux demi-journées par semaine, ce qui aurait l'avantage de ne pas obnubiler constamment ? Je ne sais pas encore. En attendant, répondre aux mails, donc, et préparer le prochain atelier à la Vallée aux Loups, la lecture la lecture pour les dix ans de publie.net le festival de Clermont-Ferrand qui se profile, la journée du vendredi à Chartres...
Sauf que. Virus. Au lit, au ralenti. 

À noter :  Magali Albespy parle de la pratique de danse et d'improvisation qu'elle a mise en place à partir d'un texte de John Cage et à laquelle je participe parfois sur cette page. Elle fait aussi un peu de place sur son site à Volte-face (dont c'est la toute première trace écrite en dehors de ce blog, même si le texte vient d'ici !).

En ce début de semaine, même si je ne suis en rien efficace, je prête attention à ce qui se présente : cette vidéo des bruits et sons chez Varda apparue brusquement en ligne, ou encore le bruit, la musique de mes 18-20 ans présents dans la Fabrique de l'Histoire, sur France Culture (tout ce que je n'ai pas nommé dans Cowboy Junkies ni Franck et pourtant s'y trouve secrètement). 

Jeudi Préparations diverses, suite. Samedi, un hasard : l'atelier que je mènerai à la Vallée aux Loups samedi sera consacré aux bruits, aux sons, à l'écoute du monde et il aura lieu en même temps que l'atelier sonore mené par Joachim Séné à la bibliothèque François Villon, à Paris. Contrairement à Dita Kepler, je n'ai pas le don d'ubiquité, ne pourrais y être, me concentre donc sur ce que je dois faire, mais tout cela est porteur, au moment d'entamer Bruits...
Au début de la séance, je ferai travailler les participants à partir d'une courte pièce de théâtre, Le Bruiteur, de Christine Montalbetti, parue récemment. Et ensuite ? J'ai une idée mais voilà que je tombe sur cet appel

 

qui, par ricochet, m'invite à écouter

reportage sonore où l'anamorphose est convoquée... bref.

Avec Virginie Gautier, nous travaillons sur les textes choisis pour les dix ans de publie. Le soir, je vais l'écouter lire des extraits de Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire, y retrouve des amis. Soirée douce... 

Vendredi Journée à Chartres, à découvrir la médiathèque, qui me plaît tout de suite (j'en reparlerai, je pense) ; à suivre le spécialiste de la ville Michel Brice dans le quartier de la cathédrale, à imaginer avec lui les bruits du Moyen Age ; à rencontrer Nicole et Lucien Giraudo, qui s'occupent des expositions de la galerie de l'Esperluète et du festival Jazz de mars, lequel débute le lendemain. Ils sont en train d'accrocher des photos de musiciens issues de la collection de Francis Paudras dans l'espace où se tenait plus tôt l'exposition Bernard Plossu et où Magali a dansé.

Avec Olivier L'Hostis, nous visitons ensuite le chantier de la gare, en pleine rénovation depuis un moment, allons admirer en particulier la constellation des voyageurs, vitrail que l'artiste Jean-Paul Albinetréalise autour de l'horloge du bâtiment, de laquelle partent ou convergent des motifs ronds d'une couleur particulière, le jaune d'argent. Jean-Paul Albinet nous explique qu'il l'a choisi parce qu'il est présent dans les vitraux du Moyen Age, dont ceux de la cathédrale, si je me souviens bien. Nous sommes invités à regarder le vitrail du couloir qu'emprunteront les voyageurs pour passer sous les voies, terminé par un escalier qui donne dans le hall : nous imaginons comment, un jour de soleil, l'horloge, les motifs du vitrail leur apparaîtront, illumineront cette entrée (Bruno Loire nous précise que cela devrait permettre une lumière diffuse, non un ensemble de ronds projetés comme on pourrait le croire). Nous prenons des photos, mais nous engageons à ne pas les diffuser (le chantier est pour l'instant interdit au public, il faut attendre l'inauguration). Ce qu'il me semble, à moi, c'est que grâce au vitrail, à sa couleur, à son rayonnement, l'horloge donnera aux voyageurs la sensation de les accueillir. Simple impression dans le gris de ce jour, mais forte. 

Bruits est un projet minuté et, pour cette raison, toute horloge m'intéresse. Je prends en photo celles que je croise depuis le début de l'année - on en voit déjà quelques exemples  au fil de ce semainier. Disons que celle de la gare, dont j'ai pu découvrir les coulisses par hasard, tiendra peut-être une place particulière.

Le soir, c'est le début du Printemps des poètes à la librairie, où est invité Denis Ferdinande, 
rencontre organisée par Christophe Esnault qui lit également, ou plutôt fait lire au public, des textes parus à L'Atelier de l'agneau. Il nous présente pour finir la chaîne Youtube qu'il anime, Le manque. On y voit des "haïklips" et des clips un peu plus longs dont Mourir à Chartres, autre façon de voir la ville - c'est vrai qu'une soirée, ici, commence à 18h et finit à 19h30, il faut le savoir !

 

 

Semaine #11 – faire

Dimanche ouverture de Lafayette Anticipations, ses paillettes partout, sa boutique ridicule (on y vend des stylos quatre couleurs savamment disposés) mais aussi cette vidéo sur deux étages, The silence of the sea, qui me donne une idée. Je note. Ecrire c'est potentiellement faire main basse, embrasser, étrangler, n'avoir d'avis sur rien, se débattre, déformer, faire sonner, refuser, pétrir, secouer, empoigner, caresser, lâcher... 

Explorer. Explorer encore. Expérimenter, car là il y a à faire, c'est-à-dire oser, rater, s'exposer, accorder sa confiance... Et trouver de l'aide, ne pas rester seul-e.
À bien y réfléchir, je me suis toujours arc-boutée contre ce qui me faisait violence (hiérarchie, chantage affectif, peur, mépris de classe, sexisme, jusqu'aux horaires fixes et toujours les mêmes ce qui m'a empêché, et à jamais, d'avoir une vie professionnelle "normale", pas étonnant si Bruits est minuté) : ça ne risque pas de changer, me dis-je, et ça me rassure.
Explorer est plus souple, cependant, plus énergisant.
Penser aux danseurs, s'en inspirer. Penser à ce qui vibre. A ce propos, ce que nous avons fait dimanche grâce à Magali Albespy, ce moment de danse, de musique, de partage, de lecture appelé INO peut être écouté en ligne.  

Lundi Nage de 7 à 8h. Dans le métro, la passagère à mes côtés est très énervée, tendue. Moi non. Elle ne me transmettra rien. Pourtant je n'ai pas fait une nuit complète depuis combien ? On ne compte plus. Dans mon sac, comme souvent, deux livres car je ne sais lequel choisir : tant pis pour le mal de dos. Parmi les deux, il y a la Yoko de Christine Jeanney et c'est elle qui m'inspire. C'est Christine Jeanney et son écriture. A cet instant, dans cette fatigue, sur le siège du métro près de cette femme qui soupire, s'agace, je me sens entourée, calmée, bercée, prise dans les bras par le livre, qui m'y inclut (me voilà dans le texte, oui) même à ne pas tout saisir.

Christine Jeanney écrit :

"Y.O aime la musique des bruits et celle des silences : John Cage dit que l'artiste n'est pas une sorte d'humain spécial ; il dit que chaque humain est un artiste spécial ; qu'il faut accepter le chaos, les glissements, les chutes, les grincements, les sifflements, les écouter ; et elle le pense aussi.

Elle collecte les bruits (action de recueillir des dons, du latin collecta, participe passé de colligere, ramasser, relever ; quête, réunion, assemblée des fidèles avant le départ en procession vers le lieu de célébration, une prière, oratio ad collectam : d'où le nom de collecte).

Elle dit qu'il faudrait collecter les bruits en les laissant entrer en soi par la mémoire ; se les remémorer, les déplacer en soi à l'intérieur et, quand ils sont tous réunis, y mettre du désordre (COLLECTING PIECE, automne 1963)

Pas forcément les bruits qui ont un sens, pas forcément ceux qui déclenchent des images fortes (sirènes d'ambulance, coups de feu, avalanches, pleurs, rires, hoquets et cris). Plutôt les autres bruits, les bruits fragiles, ceux qui n'ont pas la grâce, les anodins, les anonymes."

John Cage, déjà la semaine dernière, n'est-ce pas... 

Le soir, veille de retour à Chartres, mise en ligne de la première "minute" de la résidence :

 

Mercredi Journée à Chartres. La lecture du Yoko Ono de Christine Jeanney m'accompagne dans le métro, dans le train, partout. J'enregistre le silence du cinquième étage de la médiathèque, retrouve ses recoins ; déjeune seule et tranquille dans un salon de thé ; tente d'acheter une bonnette à la Fnac pour mon enregistreur (égaré la mienne dans le parc de la Vallée aux Loups), peine perdue ; cherche à écrire dans la salle d'exposition de la librairie, qui présente donc des photos de jazzwomen and men prises par Jean-Pierre Leloir ; achète Puissance de la douceur d'Anne Dufourmantelle (à partir des travaux de laquelle Claire Lecoeur s'apprête à faire écrire) ; visite la cathédrale mais n'y vois, ni perçois presque rien à force de chercher à faire des photos et du son ; entends fuser des insultes sur le parvis, désuètes, réelles, inopérantes ; reprends le TER. Comme à l'aller, fascinée par la banlieue au soleil, je me laisse happer par les juxtapositions, les reliefs, la perception des dimensions.

Côté son, il y a du neuf à écouter, puisque la deuxième émission consacrée à la résidence à Chartres est en ligne sur la page de la radio, avec pour invitée Magali Albespy. On y entend, à un moment, ce très beau duo qu'elle fait avec Caroline Grojean, où elles improvisent autour de la chanson River of no return... de Marilyn, surprise !

Radio, suite : l'émission Variations Mozart de Philippe Aigrain, invité par David Christoffel pour sa "radio parfaite", diffusée dans le cadre du festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, est également en ligne. J'y ai contribué en déambulant le long de l'avenue Mozart et en demandant aux commerçants de me parler de leur boutique... Clin d'oeil à Daguerréotypes, bien sûr, mais également à L'aiR Nu (nos locaux ne sont pas loin) qu'on peut entendre au début, avant des contributions de Virginie GautierMathilde Roux et Benoît Vincent. On s'est bien amusés, je crois qu'on peut le dire !

Dimanche Je commence la journée par regarder Trois hommes sur la photo, un documentaire lié à la photo la plus célèbre de Jean-Pierre Leloir, celle qui réunit Brassens, Brel et Ferré. 

 

Semaine #12 – première(s)

 Semaine où je n'écrirai ici sans doute pas beaucoup, car il y a à faire.

Lundi, mardi La relecture de Volte-face galope, j'en suis à la moitié. Très étonnée du peu de corrections pour le moment. Ca ne saurait durer, si ?

Et Bruits ? Pour avancer un peu, je monte et poste cette minute sexy (!) et douce à la médiathèque de Chartres : 

Mais déjà, mardi soir, publie.net fête ses dix ans, et nous intervenons avec Virginie Gautier et Joachim Séné pour une lecture à trois voix, balade dans les textes récents ou plus anciens de la maison.Lucien SuelMaryse Hache, Juliette MezencPierre MénardCécile PortierMathilde RouxMartine SonnetSébastien Ménard... (j'en oublie). Joachim propose, pour L'aiR Nu, un mur mouvant d'extraits de textes que vous retrouverez bientôt en ligne. 

Que vive publie.net et son équipe, et qu'ils prospèrent : ce qu'on m'aura dit plusieurs fois, après les lectures, c'est à quel point nous semblons nous entendre. Oui, c'est vrai. Pas de concurrence mais une écoute réelle, du soutien mutuel. Utopique ? La question ne se pose pas : c'est du présent pur, qu'on savoure après avoir fait au mieux pour que les choses fonctionnent.  
Ensuite, elles se mettent à circuler : ainsi, à la Vallée aux Loups j'irai interroger Joachim en avril sur son travail, retrouverai Virginie à Chartres ce même mois, puis à Montpellier fin mai en compagnie de Juliette Mezenc et de 
Guénaël Boutouillet... Parmi les gens avec lesquels je monte des projets ou travaille, tous ne se connaissent pas. Quand ils se rencontrent, j'ai souvent dans l'idée qu'ils vont s'entendre et, en effet, ça marche. Étonnant, non ? 

Les jours suivants, Anne se rend à un festival à Clermont-Ferrand, tout en poursuivant la relecture de son manuscrit.
Note : la revue Espace(s) du CNES (Centre National d'Études Spatiales) sera la première à publier un extrait de Bruits en avril. 

Dimanche : continuer la relecture de VF, puis se rendre au festival Sidération du CNES. J'ai candidaté par mail pour enfiler une combinaison spatiale, mais pas de nouvelles, à mon avis ça ne marchera pas...  à suivre la semaine prochaine.

 

lecture à trois voix à la soirée publie.net

Semaine #13 – Relecture, mutations urbaines, engueulades et cosmogestation

Où tout passe par l'espace... 

Dimanche Je me rends au CNES pour le festival Sidération mais, heure d'été aidant, assez tard. Je ne fais que suivre des couloirs, regarder, observer, prendre des photos de maquettes et de combinaisons spatiales, avant d'assister à une fin de conférence sur la "cosmogestation" (Est-il possible de faire un enfant dans l'espace ?) qui m'amuse, me change les idées - moi et deux autres visiteurs, nous nous sommes fait engueuler par un faux astronaute au bout d'un couloir où nous n'étions pas censés nous rendre et où il préparait une performance. Il nous parlait sèchement mais nous étions dans le noir, ne pouvions le voir, ne pouvions même savoir que c'était à nous qu'il parlait, ni qu'il était tourné vers nous, nous l'écoutions sans lui répondre, ce qui le poussait à continuer, situation absurde, bref. 

Le thème du festival est l'anecdote, justement (Anecdotes et faits divers), autrement dit ce contre quoi je me suis construite après avoir lu un texte de Genet quand j'avais une vingtaine d'années. Pas d'anecdote, donc, dans les deux "minutes" de Bruits confiées aux éditions de l'Attente pour la prochaine revue Espace(s) du CNES qui leur a donné carte blanche et paraîtra le 12 avril.
En attendant, ce que je voudrais, c'est que celle de l'astronaute au bout du couloir ne tue pas le désir de rêver d'espace, ni d'écrire. Mais je ne crois pas. Pour commencer, la cosmogestation m'a lavée du non-sens de la situation (!). 

Lundi mardi mercredi Première relecture de Volte-face, plus rapide que je ne pensais - mais, méfiance, attendons la seconde. Le manuscrit est augmenté d'une page. Surtout, je n'ai qu'une envie, c'est de rester plongée dedans. Que faire de Bruits ?
Mille choses. Patience. Bruits est un jeu de piste.
Jeudi vendredi Relire sans pitié les passages qui m'ont parus les plus complexes, voilà ce qu'il reste à faire tandis que le vendredi, j'anime un atelier à Chartres, enregistre un peu de son où je peux (il pleut), aux alentours et dans la librairie.

Ces passages où je ne reste qu'une journée commencent à suivre quelques rituels : regarder comment avancent les travaux de la gare et du futur théâtre ABC ; passer à la médiathèque une fois descendue du train et changer d'étage à chaque fois... C'est fugace, et j'ai hâte qu'il fasse beau pour élargir le cercle, mais c'est déjà une sorte d'appropriation. 

(en douceur, on a dit)

Ouvrir la porte de la pièce où ont lieu les ateliers. L'après-midi, nous travaillons à partir d'une citation du Yoko Ono de Christine Jeanney, dont François Bon lit longuement des extraits dans cette vidéo,Yoko Ono dans le texte, décidément "le" livre de ce début d'année en ce qui me concerne. Il s'agit, lors de cette séance, de passer de la photo à la musique grâce aux clichés de jazzmen de Jean-Pierre Leloir qui nous entourent, puis de la musique au(x) bruit(s) grâce à Y.O et John Cage, mentionné par Christine Jeanney et que Magali Albespy évoquait lors de son passage à la radio, rappelez-vous.

Au début de la séance, nous discutons d'autre chose : j'ai découvert, quand Magali est venue, qu'il était "impossible" d'entrer et de sortir du même côté au Monoprix situé près de la librairie : on entre par la rue principale et on sort forcément par la galerie commerçante, alors que le magasin est traversant. Ayant fait le chemin à rebours pour 1. vérifier si Magali s'y trouvait ou non 2. l'attendre devant l'entrée principale puisqu'elle n'y était pas 3. refuser de passer par la galerie pour ne pas risquer de la rater, puisqu'elle était peut-être passée par l'entrée principale voir si j'y étais pendant ce temps-là, etc., bref, éviter une blague à la Tati, je me suis (once more) fait remonter les bretelles par une vendeuse. Eh bien les participants à l'atelier ont commencé par trouver évidente cette circulation forcée, parce qu'ils y sont habitués et que l'argument a été intégré ("c'est pour éviter les vols"). C'est simplement au bout de quelques secondes que cette question de la liberté de mouvement rognée au fil des années leur est apparue. J'ai vu leurs visages changer, c'était même étonnant.

On dira que ce n'est rien, et (puisque ?) que c'est pareil partout - même chose au Franprix en bas de chez moi, il y a une porte vitrée très pratique mais elle ne s'ouvre que pour entrer dans le magasin, pas pour en sortir, pour "éviter les vols". Détail qui laisse flotter dans l'air un parfum de suspicion généralisée, contrainte spatiale qui s'ajoute, pour la parisienne que je suis, aux sièges "assis-debout" des quais de RER, aux très inventifs dispositifs anti-sdf, aux barrières anti-migrants, à l'encadrement des manifestationsetc.

Bien l'intention d'être très attentive à ces "détails" qui orientent la circulation des personnes dans Bruits.

(en douceur, disait-on)

 

 

Anne Savelli est auteure associée à la librairie L'&sperluète de Chartres, jusqu'au mois de juin 2018. Durant six mois, elle partage son temps entre création artistique et rencontres avec le public. Son projet littéraire est soutenu par Ciclic dans le cadre du dispositif "auteur associé". 


Anne Savelli est née à Paris en 1967, ville où elle vit toujours.
Après des études de Lettres modernes et d’Audiovisuel à la Sorbonne, elle devient successivement vendeuse en librairie, correctrice, formatrice en français, documentaliste web, journaliste spécialisée en informatique et lectrice de manuscrits, sans jamais cesser d’« écrire à côté ». 
En 1998, elle entame la rédaction de ce qui deviendra en 2001 Fenêtres/Open space, journal d’un trajet de métro aérien. À l’occasion de la parution, en 2007, elle ouvre un blog du même nom, toujours en activité.
En 2008 paraît Cowboy Junkies / The Trinity Session, un ouvrage consacré à un groupe de rock et folk canadien. Ce livre est intimement lié au suivant, Franck, portrait d’un jeune homme par lieux (rues, gares, squats, bords de mer, prisons…). Il en est, en quelque sorte, la bande-son. 
En juillet 2010, elle ouvre un second site, intitulé Dans la ville haute, sur lequel sera accessible, à la fin, l’intégralité de Franck en lecture audio. Le site comprend également des photographies et un journal de publication. 
En 2011, paraît Des Oloé : espaces élastiques Où Lire Où Ecrire, un livre avec photographies dans lequel elle part à la recherche de lieux (jardins, bancs, salles d’attente, bibliothèques, cafés, wagons de train…) où il semble encore possible de lire et/ou d’écrire.
Elle travaille ensuite à la rédaction de plusieurs livres consacrés à la notion de décor.